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Être médecin et homme de lettres au XVIIIe siècle : visages multiples et portraits croisés de Jacques Barbeu-Dubourg

Jacques Barbeu-Dubourg: Le Botaniste francais (1767)

Le prospectus de la Gazette d’Épidaure fait apparaître son auteur comme bien décidé à occuper une place singulière dans la littérature journalistique de son temps, en particulier celle qui a trait à la médecine. Loin de se limiter à la Gazette ni même au domaine médical, homme de sociétés et d’échanges, Barbeu-Dubourg participe aussi diversement qu’activement à la vie intellectuelle de son temps. Par quelles productions rejoint-il ceux qu’on appelle alors les gens de lettres ? Quelles représentations la curiosité du médecin éveille-t-elle chez ses contemporains ?

Reçu docteur à la Faculté de médecine de Paris en 1748, Barbeu-Dubourg devient médecin sur le tard. C’est sous le pseudonyme de Zoïlomastix qu’il prend part au débat sur le statut des chirurgiens et des barbiers en 1743. Il inaugure ainsi un engagement constant dans les controverses médicales, qu’il s’agisse de la querelle médico-légale de 1765 sur la durée de la grossesse, de la question de l’inoculation ou encore de la rivalité institutionnelle entre la jeune Société royale de médecine et la vénérable Faculté de médecine de Paris. L’élection de Barbeu-Dubourg, quelques mois avant sa mort, à la Société n’échappe pas aux Mémoires secrets qui y voient une « défection […] honteuse » à la Faculté. Le jugement, sans appel, est réitéré dans une courte nécrologie :

« 18 Décembre 1779. M. Barbeu Dubourg, docteur de la faculté de médecine de Paris, vient de mourir : après avoir déclamé beaucoup contre la formation de la société royale, il s’en était rapproché et venait de s’y agréger, c’est-à-dire, de se déshonorer sur le bord de la tombe. Du reste, c’était un homme de lettres, qui a beaucoup écrit sur les matières médicales et sur d’autres objets. » (Mémoires secrets, p. 77 et p. 315).

Indépendamment de ses brochures, souvent anonymes, et d’aphorismes médicaux publiés à titre posthume, Barbeu-Dubourg écrit un Petit code de la raison humaine. Il compose par ailleurs Le Botaniste français, deux in-12 visant à mettre la botanique « à la portée de tout le monde, sans exception des Herboristes, ni des Gens de la campagne, des Femmes, ni des Enfants » (Le Botaniste français, p. xi). L’entreprise de vulgarisation s’assortit d’une invitation à herboriser, aux côtés des botanistes. Ces derniers « ne sont point d’un accès difficile ; ils recherchent peu les autres hommes, mais ils les fuient encore moins : tout le monde est admis presque indistinctement à leurs promenades philosophiques, et les vieux comme les jeunes y trouvent toujours à s’instruire » (Ibid., p. xv). Rousseau, qui pratique la botanique, recommande à l’un de ses compagnons d’herborisation d’emporter le second volume de son Barbeu (Lettre à l’abbé Baurin, 8 août 1769).

Jacques Barbeu-Dubourg, Chronographie ou description des temps (1753)

Barbeu-Dubourg est encore traducteur, notamment des œuvres de Benjamin Franklin (1706-1790) dont il est le correspondant. Il se pique alors d’électricité : « Il faudrait avoir l’esprit bien bouché pour ne pas devenir Électricien avec vous. », écrit-il au savant Américain (Œuvres de M. Franklin, t. I, p. 314). Dans cette même lettre datée du 1er avril 1773, Barbeu-Dubourg soumet à l’appréciation de Franklin l’idée d’une sorte de paratonnerre destiné aux piétons : « Cette machine ne diffère presque d’un parasol, que par quelques petits accessoires, qui s’y adaptent aisément en cas d’orage » (Ibid., p. 316). Car le docteur se fait volontiers inventeur. Au milieu du siècle, il conçoit une machine permettant de faire défiler le cours de l’histoire sous la forme d’une carte composée de planches synoptiques. Des échos de cette ingénieuse Chronographie (1753) se retrouvent dans l’Encyclopédie. Diderot y décrit par le menu la machine et relaie l’appel de Barbeu-Dubourg : « Afin d’encourager les gens de lettres à l’aider dans le degré de perfection auquel il se propose de porter sa carte, il offre de donner un exemplaire gratis à toutes personnes tenant un rang dans la république des lettres, tels qu’auteurs, académiciens, docteurs, journalistes, professeurs, bibliothécaires, principaux de collège, préfets, etc. qui daigneront lui en rendre un premier avec les remarques, avis, corrections, observations, et autres ratures dont ils l’auront chargé » (Encyclopédie, t. III, p. 401).

Polémiste, botaniste, journaliste, historien, traducteur, inventeur… Les multiples facettes du médecin-homme de lettres se retrouvent dans son éloge prononcé par Félix Vicq d’Azyr (1748-1794). Barbeu-Dubourg y est décrit comme « un esprit prompt et mobile auquel un seul genre d’occupation n’a jamais suffi » (Vicq d’Azyr, p. 181). Le panégyriste relève son « infatigable curiosité » (Ibid., p. 185) et observe que ses productions sont « variées comme ses goûts » (Ibid., p. 187). Il note que la Gazette d’Épidaure a permis de diffuser utilement les savoirs médicaux et qu’« on [y] trouve partout de la décence et souvent de la gaieté » (Ibid., p. 187). L’éloge se clôt sur un portrait en demi-teinte :

« M. Dubourg ne reçut point en naissant ces rares dispositions qui sont la source du génie ; mais il les dut à la nature de talents que le travail a cultivés et rendus fructueux. Son nom sera inscrit parmi ceux des citoyens utiles et des littérateurs les plus zélés : lié avec celui de M. Franklin, il attirera les regards de la postérité, qui n’oubliera point l’ami de ce grand homme » (Ibid., p. 195-196).

Restant dans l’ombre de l’illustre Franklin, Barbeu-Dubourg semble ici tenu à distance du modèle du savant éclairé.

Jean-Honoré Fragonard (dess.), Marguerite Gérard (grav.), Au génie de Franklin (1778)

C’est sur le parcours retracé par Vicq d’Azyr que John Coakley Lettsom (1744-1815) s’appuie pour ses Memoirs of Jacques Barbeu Dubourg, lus le 25 février 1787 dans l’enceinte de la Medical Society of London, dont il est le fondateur en 1773 et dont Barbeu-Dubourg, élu le 5 octobre, est le premier membre correspondant. Lettsom insiste particulièrement sur « l’indépendance qui a toujours été la base [du] caractère » de Barbeu-Dubourg (Vicq d’Azyr, p. 182). Il dépeint son futur confrère et ami en quête d’une vocation, renonçant à entrer dans les ordres parce que

« his mind, in which the seeds of the freedom early germinated, revolted at the prospect of perpetual restraint » (Lettsom, p. 478).

Si Vicq d’Azyr prive Barbeu-Dubourg de talents innés, Lettsom le dote, dans un registre métaphorique, d’un naturel précocement enclin à la liberté. « [L]iberality of mind » et « spirit of independence » sont pour Lettsom ses principaux traits de caractère (Ibid., p. 478 et p. 479).

Un aperçu des pratiques et de la production de Barbeu-Dubourg suffit pour le qualifier, faute de mieux, de polygraphe du XVIIIe siècle. Le gazetier qui plaçait son autoportrait sous le signe de la variété s’est façonné, au gré de ses nombreux intérêts, une identité plurielle. Ses portraits croisés fournissent une image qui n’en est pas moins changeante, allant du curieux docteur touche-à-tout, comme le laisse entrevoir Vicq d’Azyr, au savant dont la curiosité rime, d’après Lettsom, avec l’idée de liberté. La construction de sa postérité s’avère ici tout aussi éloquente que ses ouvrages et son parcours : la figure de Barbeu-Dubourg invite à considérer le médecin républicain des lettres au regard des discours et des représentations dont il fait l’objet au temps des Lumières.

Bénédicte Prot

 

Références

Aldridge, Alfred Owen, « Jacques Barbeu-Dubourg, a French Disciple of Benjamin Franklin », Proceedings of the American Philosophical Society, n° 95, 1951, p. 331-392.

Ansart, Louis-Joseph-Auguste, « Barbeu », Bibliothèque littéraire du Maine, ou traité historique et critique des auteurs de cette Province, par M. Ansart, chanoine régulier de la Congrégation de France, à Châlons-sur-Marne, chez Pavier, La Ve. Hérissant, Monnoyer, 1784, t. I, p. 81-94.

[Barbeu-Dubourg, Jacques], Lettre d’un garçon barbier à M. l’Abbé Des Fontaines, auteur des observations sur les écrits modernes, au sujet de la maîtrise-ès-arts, s. l., 1743.

Barbeu-Dubourg, Jacques, Chronographie ou description des temps ; contenant toute la suite des souverains de l’univers, et des principaux événements de chaque siècle, depuis la création du monde jusqu’à présent ; en trente-cinq planches gravées en taille-douce, et réunies en une machine d’un usage facile et commode, Par M. Barbeu Dubourg, docteur en médecine, et professeur de pharmacie en l’Université de Paris, à Paris, chez l’Auteur, Lamote et Fleury, 1753.

[Barbeu-Dubourg, Jacques], Opinion d’un médecin de la Faculté de Paris sur l’inoculation de la petite vérole, s. l. n. d. [1768].

[Barbeu-Dubourg, Jacques], Petit code de la raison humaine ou, exposition succincte de ce que la raison dicte à tous les hommes, pour éclairer leur conduite et assurer leur bonheur, par M. B. D., s. l., 1789 [1ère éd. 1774].

[Barbeu-Dubourg, Jacques], Recherches sur la durée de la grossesse, et le terme de l’accouchement, à Amsterdam, s. n., 1765.

Barbeu-Dubourg, Jacques, Le Botaniste français, comprenant toutes les plantes communes et usuelles, disposées suivant une nouvelle méthode, et décrites en langue vulgaire, Par M. Barbeu Dubourg, à Paris, chez Lacombe, 1767, 2 vol.

[Barbeu-Dubourg, Jacques], Lettre d’un médecin de la Faculté de Paris, à un de ses confrères, au sujet de la Société royale de médecine, s. l. n. d.

Barbeu-Dubourg, Jacques, Éléments de médecine, en forme d’aphorismes ; Par M. Barbeu Du Bourg, docteur et ancien professeur de la Faculté de médecine de Paris, membre de la Société royale de médecine de la même ville, de la Société royale de Montpellier, de la Société médicale de Londres, de l’Académie des sciences de Stockholm, et de la Société philosophique de Philadelphie, à Paris, chez P. Fr. Didot, 1780.

Delaunay, Paul, « Barbeu Du Bourg », Vieux médecins mayennais, deuxième série, Laval, Imprimerie-librairie Ve. A. Goupil, 1904, p. 5-79.

Diderot, Denis, Chronologique (machine.), Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une Société de gens de lettres, mis en ordre et publié par M. Diderot, de l’Académie royale des sciences et des belles-lettres de Prusse ; et quant à la partie mathématique, par M. D’Alembert, de l’Académie royale des sciences de Paris, de celle de Prusse, et de la Société royale de Londres, à Paris, chez Briasson, David, Le Breton, Durand, vol. III, 1753, p. 400-401.

Ferguson, Stephen, « The 1753 “Carte chronographique” of Jacques Barbeu-Dubourg », The Princeton University Library Chronicle, vol. 52, n° 2, 1991, p. 190-230.

Franklin, Benjamin, trad. Barbeu-Dubourg, Jacques, Œuvres de M. Franklin, docteur ès lois, membre de l’Académie royale des sciences de Paris, des Sociétés royales de Londres et de Gottingue, des Sociétés philosophiques d’Edimbourg et de Rotterdam, Président de la Société philosophique de Philadelphie, et Résident à la cour de la Grande Bretagne pour plusieurs colonies britanniques américaines. Traduites de l’anglais sur la quatrième édition. Par M. Barbeu Dubourg, avec des additions nouvelles et des figures en taille douce, à Paris, chez Quillau, Esprit et l’Auteur, 1773, 2 vol.

Hauréau, Barthélemy, « Barbeu-Dubourg (Jacques) », Histoire littéraire du Maine, par B. Hauréau, membre de l’Institut, nouvelle édition, Paris, Dumoulin, 1870, t. I, p. 218-222.

Lettsom, John Coackley, « Memoirs of Jacques Barbeu Dubourg, Professor of the Faculty of Medicine of Paris; Member of the Royal Society of Sciences of Montpellier, of the Medical Society of London, and of the Royal medical Society of Paris; of the Academy of Sciences of Stockholm, and of the American Philosophical Society of Philadelphia, By J. C. Lettsom, M. D., etc. », Memoirs of the Medical Society of London. Instituted in the Year 1773, London, Printed by Fry and Couchman, for Charles Dilly, vol. I, 1787, p. 476-491.

Moufle d’Angerville, Barthélémy-François-Joseph, Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la République des lettres en France, depuis MDCCLXII jusqu’à nos jours ; ou Journal d’un Observateur, contenant les Analyses des Pièces de Théâtre qui ont paru durant cet intervalle ; les Relations des Assemblées Littéraires ; les Notices des Livres nouveaux, clandestins, prohibés ; les Pièces fugitives, rares ou manuscrites, en prose ou en vers ; les Vaudevilles sur la Cour ; les Anecdotes et Bons Mots ; les Éloges des savants, des Artistes, des Hommes de Lettres morts, etc. etc. etc., à Londres, Chez John Adamson, t. XIII, 1780.

Vicq d’Azyr, Félix, « Barbeu Dubourg », Œuvres complètes, Éloges historiques par Vicq d’Azyr, recueillis et publiés avec des notes et un discours sur sa vie et ses ouvrages, par Jacq. L. Moreau (de la Sarthe), Docteur médecin, Sous-bibliothécaire de l’École de médecine, Membre adjoint de la Société de cette École, membre de la Société philomatique, des Sociétés de médecine de Paris, de Montpellier, etc., à Paris, Chez L. Duprat-Duverger, an XIII-1805, vol. II, p. 181-196.

Images

Page de titre du tome I du Botaniste français, Bibliothèque nationale de France / Gallica
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Page de titre du tome I des Œuvres de M. Franklin, Wellcome collection,
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Planche extraite de la Chronographie, p. 31, Bibliothèque nationale de France / Gallica
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Jean-Honoré Fragonard (dess.), Marguerite Gérard (grav.), Au génie de Franklin, 1778, estampe à l’eau forte, 47,8 x 37,4 cm, Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, FOL-DC-13 (1), Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52508421w